Burning out, dans le ventre de l’hôpital

Le réalisateur Jérôme le Maire s’est plongé pendant deux ans dans le ventre de l’unité chirurgicale d’un hôpital parisien pour y filmer l’émergence du burn-out. Au cœur du travail et de ses excès, ce documentaire nous fait découvrir les mécanismes qui provoquent ce mal, reflet de notre société. Une mise en abyme filmée avec humanité et délicatesse.

Par Christiane Thiry, rédactrice en chef

ll était une fois une rencontre, celle de Jérôme le Maire et de Pascal Chabot, philosophe et auteur de l’essai Global burn-out, fondé sur la thèse que le burn-out est une pathologie de civilisation et un trouble miroir de notre société. Jérôme décide de s’immerger dans l’univers du burn-out, rencontre de nombreuses personnes ayant souffert de ce mal, suit des psychiatres et des coachs, ainsi que le Dr Patrick Mesters et son équipe de l’European Institute for Intervention and Research on Burn Out. Survient une rencontre importante, celle de Marie-Christine Becq, anesthésiste qui a contacté Pascal Chabot pour lui demander de venir parler de son livre dans son service, à l’hôpital Saint-Louis à Paris. Pascal accepte et invite Jérôme qui sent combien le sujet est brûlant dans l’auditoire et vit cette conférence comme un S.O.S., une sorte d’appel à l’aide. Suivant son intuition, Jérôme revient voir Marie-Christine au travail. Et après avoir passé plusieurs mois dans les blocs opératoires, la décision de tourner l’entièreté du film au bloc de l’hôpital Saint-Louis s’impose. « La direction de l’établissement a longuement hésité avant de me donner les autorisations de filmer. Elle a finalement accepté. J’ai donc eu un accès tout à fait unique concernant la problématique du burn-out et des risques psychosociaux. J’étais présent au moment où ces troubles se déclaraient et surtout, je pouvais observer en temps réel les mécanismes qui les provoquaient », commente le réalisateur.

Une métaphore de notre société

Le bloc opératoire ultraperformant fonctionne à flux tendu : 14 salles en ligne ayant pour objectif de pratiquer chacune huit à dix interventions par jour. Chirurgiens, anesthésistes, infirmiers et aides soignants, mais aussi cadres et dirigeants sont pris dans un rythme effréné. Stress chronique, burn-out, et risques psychosociaux ont envahi l’hôpital. Consciente de ce problème, l’administration a commandé un audit sur l’organisation du travail afin de tenter de désamorcer le début d’incendie. Caméra à l’épaule, dans l’action, toujours proche des personnages, Jérôme le Maire nous fait vivre dans le huis clos de ce bloc opératoire.  Et que trouve-t-on au cœur du système ? Des unités scindées pour rendre les personnes plus polyvalentes et accélérer les cadences, des personnes à la limite de l’explosion, désorientées et désabusées, que l’on a coupées de leur service et des liens qu’elles avaient noués. Là où le personnel devient un objet, là où chaque hôpital devient une industrie. Burning out : ce n’est pas la maladie en tant que telle qui est observée, mais le système et les processus internes qui conduisent au burn-out.

Dans l’intimité de la relation

Le film se vit en direct, au présent, sans interview ni mise en scène, le lien se créant par la caméra.  Dans les espaces confinés des salles d’opération, le réalisateur se fait discret et s’immerge peu à peu dans l’intimité des personnes qui se confient à lui. « Je voulais être chirurgien », précise Jérôme qui fait se rejoindre dans ce film ses deux vocations. « Je démarre en position d’observation pour me fondre peu à peu comme un personnage du film. » Faire ressentir dans l’image le besoin d’humanité et la perte de lien des membres de ce bloc, tel est l’objectif fondamental du réalisateur. Imprégné des recherches effectuées sur la thématique et des nombreuses rencontres réalisées avant le tournage, il a une longueur d’avance sur les personnes du bloc en prise avec le burn-out. Il en connaît les prémisses et les symptômes et retrouve régulièrement le Dr Mesters qui l’aide à faire une analyse systémique de ce qui se vit à l’hôpital.

De nouveaux liens plus respectueux

Le film se termine par une note d’espoir : si la maladie vient de la perte de lien, la solution, c’est d’en recréer. Une simple boîte à suggestions et l’humanité reprend, les gens se détendant.  Une démarche qui peut sembler infime mais qui montre le désir de s’échapper du burn-out. Si certains le font et fuient le service pendant quelques mois, d’autres, telle l’anesthésiste qui a demandé à rencontrer Pascal Chabot après la lecture de son livre, s’en échappent en prenant le taureau par les cornes et en remettant les personnes en contact les unes avec les autres.   Morale de l’histoire ? Le burn-out, maladie du lien, nous touche toutes et tous dans une société où la performance et la productivité sont les seuls credo. Où, à force de réorganisations, de réductions des effectifs et d’augmentation conséquente des rythmes de travail, bon nombre d’entre nous perdent le sens de leur travail se retrouvent isolés, stressés, déshumanisés
et au bord de la rupture.  Mais l’antidote existe : la magie du lien et de la relation, fondements
de note humanité.

Un film produit par AT Doc, Zadig Productions et Louise Productions.
En salles à Bruxelles dès le 3 mai puis en Wallonie (voir les dates sur le site: http://burning-out-film.com).

Les auteurs

Après des études de journalisme à l’Université Libre de Bruxelles et de réalisation à l’Institut des Arts de Diffusion, Jérôme le Maire a réalisé plusieurs courts métrages de fiction avant de partir vivre deux ans et demi avec sa famille dans une palmeraie isolée au sud du Maroc. Il en revient en 2006 avec le film documentaire long métrage Où est l’amour dans la palmeraie ? qui sera sélectionné dans un bon nombre de festivals internationaux.  En 2012, Jérôme sort Le thé ou l’électricité, un long métrage documentaire qui a reçu une trentaine de prix dont le Magritte du meilleur documentaire. Suivi en 2013 par le long métrage de fiction Le Grand Tour

Pascal Chabot, co-auteur du film, est philosophe et enseigne à l’Ihecs (Bruxelles). Il a publié aux PUF Après le progrès (2008), Les sept stades de la philosophie (2011), Global burn-out (2013), L’âge des transitions (2015) et ChatBot le robot (2016).

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