Entre l’abandon et l’envahissement

La position que l’on occupe dans l’ordre des naissances dans notre famille d’origine peut s’avérer très importante pour la compréhension de notre personnalité, même s’il convient sans doute de ne pas l’utiliser à tort et à travers pour tout expliquer. Notre développement psychique est évidemment multifactoriel, il reste largement mystérieux et c’est très bien ainsi.

Par Armand Lequeux, professeur émérite de sexologie à l’UCL

Quoi qu’il en soit, je vous présente Julie. Lorsqu’elle évoque son enfance, elle se plaint d’un manque d’attention, d’un trop peu d’amour de la part de ses parents. Ceux-ci, dit-elle, préféraient sa grande sœur dotée de toutes les qualités et se préoccupaient beaucoup des deux garçons plus jeunes. À tort ou à raison, elle s’est sentie négligée et négligeable. Aujourd’hui encore, à trente ans, elle souffre d’une blessure d’abandon. Elle vit en couple avec Jules. Elle l’aime. Elle fut séduite par sa force qui allait pouvoir la protéger toujours et ne l’abandonner jamais. Actuellement, après cinq ans de vie commune, ça ne se passe pas trop bien entre eux : trop de silences, peu d’échanges, peu de vie qui circule. L’horloge biologique et son désir lui disent qu’il serait temps d’envisager de mettre un bébé en route, mais Jules n’est guère enthousiaste.

Jules est le fils unique de parents anxieux et hyperprotecteurs. Il a dû se battre (moi tout seul) pour se construire une personnalité forte en position défensive. Contrairement à Julie, on peut dire qu’il souffre d’une blessure d’envahissement. Il aime Julie. Il fut séduit par sa confiance, son ouverture, sa fragilité, mais aujourd’hui il a l’impression d’étouffer. Elle n’est jamais contente, l’ambiance est plombée, et ce projet de bébé lui fait peur. Il craint d’y perdre son autonomie et de se noyer dans une entité-famille où il ne trouverait pas sa place.

Vous avez compris : ils furent l’un et l’autre attirés par des traits de personnalité qui dorénavant les font souffrir. Quand Julie demande de la présence et de l’intimité, Jules prend peur et se referme. Elle se sent triste et seule. Elle n’ose plus demander. Elle se tait. Jules a lui aussi besoin de présence, mais à la bonne distance, pas trop près. Il se sent seul, incompris, en colère rentrée. Il préfère ne plus rien dire de peur de se fâcher à la moindre contrariété. Il se censure et se tait.

Jules vit sa sexualité comme un besoin qui lui monte fréquemment de sa nature animale sans trop vouloir comprendre ce qui s’y passe. Pendant la relation sexuelle, il peut être doux et attentif au plaisir de Julie, mais il ne voit pas vraiment l’intérêt d’un jeu de séduction qui précèderait cet acte ni d’un commentaire émotionnel qui pourrait le suivre. Julie voudrait plus de tendresse et avant et après. Elle voudrait plus d’échanges émotionnels pour réveiller ses envies que Jules trouve bien trop parcimonieuses. Donne-moi de la tendresse, dit-elle, et je donnerai plus de sexe. Lui, par contre, pense qu’il pourrait devenir plus sentimental s’il était comblé du côté du sexe…

Alors ? Difficile rencontre, mais rien d’impossible. Les clés sont à leur disposition s’ils veulent s’en saisir pour s’ouvrir l’un à l’autre. Julie peut découvrir que le besoin d’autonomie de Jules n’est pas dirigé contre elle, elle peut apprendre à le reconnaître et même à l’apprécier puisque c’est de là que naît cette force dont elle a tant besoin. Jules peut découvrir que le besoin d’intimité de Julie n’est pas destiné à l’enfermer, mais qu’il peut apprendre à s’y réchauffer en toute confiance, en cherchant avec elle la bonne distance sans se perdre dans la fusion et sans désespérer dans la solitude. Avec patience, bienveillance et respect mutuel, pourront-ils repartir plus conscients, plus responsables ? Et quid du projet de bébé ? Peut-être… ou pas. À suivre.

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