« Je n’ai pas traversé l’enfer pour rien » Selah Sue

 Elle a écrit sa toute première chanson d’amour. Elle chante le rêve et l’avenir. Et elle vient de sortir un album dont le rythme colle au corps et au coeur. Mais si les projecteurs l’éclairent d’une lumière vive, tout autour règne l’obscurité : « De temps en temps, il faut qu’on me dise que tout va s’arranger. »

par Barbara Seynaeve

Quand elle parle, ce ne sont pas les marques d’excès qui manquent : tout est dingue, extrême, violent… Et quand elle cherche à les tempérer, elle dit « un peu violent ». La modération, très peu pour elle. On ne le croirait pas lorsqu’on la voit si sereine, calée dans son fauteuil, les genoux relevés, mais chez Selah Sue, alias Sanne Putseys, tout est blanc et noir, le jour et la nuit (sans lune), l’air et la pesanteur. À la fin de l’année dernière, la chanteuse se confiait à la VRT sur les antidépresseurs qu’elle prend depuis qu’elle a 18 ans, et comment ils ont contribué à son succès. Car sans médicaments, il n’y aurait jamais eu un premier album ni une première tournée, avait-elle affirmé. Elle passerait aujourd’hui son temps au fond de son lit, en prise avec la dépression. Voilà qu’elle vient de sortir un nouvel album, Reason, le fruit de deux années d’écriture, de travail et d’attente. Le fait que quatre années séparent son premier album et celui-ci s’explique surtout par le succès du premier, dont elle a vendu un million d’exemplaires, et par une tournée mondiale sans fin (deux ans et demi). Dans l’intervalle, la frêle jeune fille avec sa guitare, que Milow avait prise sous son aile après un concours de talents en 2009, est devenue une véritable bête de scène. Mais plus les critiques sont élogieuses, plus elle remporte de prix et plus ses fans sont nombreux, moins elle se sent bien face à ce succès. « Le succès rend un tout petit peu plus malheureux », avait-elle déclaré sur le plateau de la télé flamande. « Plus j’ai du succès, moins je me sens sûre de moi. » Aussi les textes que l’on trouve sur Reason n’inspirent ni la rigolade ni la rêverie. Même si, cet été, nous ne pourrons pas nous empêcher de les chanter à tue-tête parce que la musique nous y incite, ils sont teintés d’angoisse, de ténèbres et de solitude. « Jusqu’à présent, pour les journalistes, les textes de l’album précédent évoquaient des problèmes d’adolescents », constate-t-elle. « Mais des années ont passé et je ressens toujours la même chose aujourd’hui. » Si la jeune fille qu’était Selah Sue a laissé la place à une femme, les émotions continuent de tourbillonner. « Même avec les médicaments, je connais des moments vraiment très difficiles. »

Psychologies : Votre témoignage sur les antidépresseurs a été qualifié de « courageux ». Est-ce comme cela que vous l’avez ressenti vous-même ?
Selah Sue : Pas du tout. J’ai toujours eu envie de le faire. Car si chanter sur la solitude et l’angoisse, c’est une chose, en parler c’en est une autre. Lorsque j’en parle, j’ai le sentiment que je n’ai pas traversé l’enfer pour rien, que je peux en tirer quelque chose de positif. Je suis la marraine d’un nouveau projet qui oeuvre à briser le tabou des problèmes psychiques chez les adolescents, au sein de l’association flamande Te Gek !? (www.tegek.be).

Dans ce cas, pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour le faire ?
S.S. : La seule raison qui m’ait empêché d’en parler plus tôt est que les gens ne l’auraient pas accepté venant de ma part. Il y a quelques années, j’étais une toute nouvelle artiste, la énième fille éprouvant des problèmes. Cela n’intéressait personne. Depuis, les choses ont changé et le temps m’a semblé mûr pour aborder le sujet.

Pourquoi est-il si important pour vous d’en parler dans les médias ?
S.S. : « J’ai étudié la psychologie dans le but d’aider les gens. Je ne suis peut-être pas devenue psychologue, mais aujourd’hui, je peux travailler à grande échelle. Il a suffi d’un passage dans l’émission Reyers Laat sur la VRT et hop, plusieurs milliers de personnes ont reçu le message (rires). Bien sûr, je ne donne pas de conseils, mais je pense qu’il peut être rassurant pour les gens de savoir qu’ils ne sont pas les seuls à se sentir mal. Et que le fait de connaître le succès a peu d’impact sur la façon dont on se sent.

Auriez-vous été une bonne psychologue ?
S.S. : Aucune idée. Mais je suis douée pour l’écoute à l’égard de tous ceux qui ont le mal de vivre. Parce que je suis passée par là et que je sais combien l’écoute est importante. Pendant de très nombreuses années, ma mère a été pour moi un véritable pilier, la personne que j’appelais au secours lorsque je me sentais mal et que je commençais à paniquer. J’ai eu la chance d’avoir autour de moi suffisamment de personnes capables d’écoute. Mais à présent, je vois dans mon entourage proche des gens qui n’osent pas s’exprimer ouvertement parce que dans leur famille, cela ne se fait pas. Dans ce cas, je me dis : ‘De grâce, confiez-vous à moi !’ C’est peut-être une façon de rendre ce que l’on m’a donné.

Qui est votre pilier actuel ?
S.S. : Actuellement, je suis mon propre pilier (rires). Je gère beaucoup mieux mes angoisses qu’autrefois. Il m’arrive encore de me sentir très malheureuse, mais il suffit que quelqu’un me dise que tout va s’arranger pour que j’arrive à me calmer. Je sais que cela va passer et donc j’attends le temps qu’il faut.

C’est une évolution importante. Y a-t-il eu un moment charnière ?
S.S. : Au risque de choquer certains : dès que j’ai commencé à prendre des médicaments, mon monde s’est ouvert. C’était une vraie révélation. Waouw, c’est donc ça la vie ! C’est génial ! Je peux sentir le soleil ! Avant, j’étais toujours un peu malheureuse. Quoi qu’il arrive, il y avait toujours cette zone d’ombre.

Étiez-vous malheureuse pendant l’enfance également ?
S.S. : Non, j’étais une enfant très heureuse. Mais quand j’ai eu 14 ans, tout à coup : boum, fini, la grosse déprime ! Pendant quatre ans, j’ai essayé de m’en sortir sans médicaments, entre autres parce que mon psychiatre n’était pas fan des antidépresseurs. Ce n’est que le jour où j’ai vraiment touché le fond et que même lui a dû reconnaître que tout le reste ne servait à rien, qu’il a donné son feu vert. Selon lui, je suis en déficit d’une certaine substance, que m’apportent aujourd’hui les médicaments.

Entre-temps, cela fait près de sept ans que vous les prenez. Y a-t-il des effets secondaires ?
S.S. : J’ai dû m’adapter au début, mais aujourd’hui ils ne me posent plus de problèmes. Sauf que je rêve extrêmement fort et que je fais beaucoup de cauchemars. Mais cela ne fait pas le poids face aux avantages.

Vous avez pourtant essayé de vous en passer ?
S.S. : Je voulais savoir ce qui se passerait alors que j’écrivais de nouveaux morceaux. Mais je me suis fourvoyée. Il n’a pas fallu longtemps pour que je me retrouve au lit, trop malheureuse pour faire quoi que ce soit. Cela m’inquiète parfois, car j’aimerais avoir des enfants et ma gynécologue m’a dit que les premiers jours après leur naissance, les bébés présentent parfois des symptômes de sevrage. Et ça, ça me chipote. Mais bon, elle m’a aussi dit qu’il vaut mieux une mère stable capable de s’occuper de son enfant qu’une mère dépressive qui passe ses journées au lit.

Il se pourrait aussi que vous transmettiez votre vulnérabilité à vos enfants, non ?
S.S. : Oui, c’est possible. Il y a certainement un facteur génétique car tant du côté paternel que maternel, mes grands-parents connaissaient des problèmes psychiques. D’un autre côté, mes parents ont été épargnés. Cela signifie que cette vulnérabilité a sauté une génération. J’espère que ce sera de nouveau le cas.

Était-il rassurant d’apprendre que le problème avait un lien avec l’hérédité ?
S.S. : Pas vraiment, puisque mes grands-mères ont eu une vie tragique. Mais je suis une tout autre personne que mes grands-mères, et on vit à une tout autre époque. À mon avis, le risque que je connaisse le même parcours qu’elles est très faible.

Vive les antidépresseurs ?
S.S. : Il n’y a pas que les médicaments. J’ai toujours eu la volonté extrême de me sentir mieux. Et j’ai accepté plein d’aide. Je vois autour de moi des personnes qui ont honte de leurs problèmes, de leurs angoisses et de leur manque de confiance. Je ne les comprends vraiment pas. On perd tellement de temps à toujours se sentir mal. On ne peut jamais être fier au point de refuser de l’aide ! Par ailleurs, j’ai aussi été terriblement soutenue par ma mère, ma sœur et mes amis. Aucune personne que j’aime ne m’a jamais jugée. Et enfin, j’ai la chance dingue d’avoir ce talent et de pouvoir verser tout ça dans ma musique et mes textes.

Votre ami a joué un rôle aussi, d’après ce que j’ai pu lire ?
S.S. : (rires) Il n’y est certainement pas étranger, mais la base, je me la suis construite moi-même. Il est impossible d’aimer quelqu’un lorsqu’on ne s’aime pas soi-même. Joachim joue dans mon groupe depuis le tout début, mais à l’époque, je n’étais pas du tout en phase avec moi-même. Et même s’il avait dit alors que je faisais du très bon boulot, et que j’étais très belle, je ne l’aurais pas cru. Je souffre toujours un petit peu de ce mal-là. Il m’arrive de jouer à guichets fermés et de penser que le public rit et applaudit juste pour me faire plaisir. Qu’en réalité, il n’aime pas du tout le spectacle et qu’il espère en être plus vite débarrassé en jouant le jeu. Dans ces moments-là, il est précieux d’avoir un petit ami capable de tout relativiser à mort. Quand j’en ai ras le bol, il me sort une remarque pince-sans-rire qui me fait rigoler. Si tout n’est pas devenu hyperfacile pour autant, c’est génial d’avoir quelqu’un comme lui à mes côtés.

Vous êtes toujours ensemble, à la maison mais aussi en tournée. Comment y arrivez-vous ?
S.S. : On n’a pas d’autre choix que d’être soi-même, car on ne peut pas échapper à l’autre. Je touche du bois, mais cela fonctionne très bien. De plus, je ne peux pas imaginer partager la vie de quelqu’un qui évolue dans un milieu tout à fait différent. Ce n’est pas un job de neuf à cinq, c’est un mode de vie. Il me paraît donc très difficile de rentrer dans sa famille et d’expliquer tout ce qui s’est passé depuis la dernière fois.

Comment voyez-vous l’avenir ? Vous aimeriez fonder une famille, non ?
S.S. : Avoir des enfants, c’est peut-être ma plus grande ambition. Je ne sais pas encore très bien comment nous allons nous y prendre. Mon copain a déjà deux filles, et lorsque nous sommes à la maison, elles viennent toujours chez nous. Dans ces moments-là, tout tourne autour des gamines et du ménage. Et ce dernier aspect est généralement très décevant (rires).

Encore faut-il qu’il soit d’accord…
S.S. : Il est superchill, donc ça devrait pouvoir s’arranger. Et s’il transmet ces gènes-là à mes enfants, c’est encore mieux. De toute manière, ce n’est pas pour tout de suite. Ma grossesse, je devrai la planifier car il y a une dizaine de personnes qui dépendent de moi pour leur travail, et je ne veux pas les laisser en plan. Nous avons vécu trop de choses ensemble, en tournée, pour que je puisse les abandonner à leur sort.

En effet, vous avez beaucoup tourné, et ensuite vous avez passé deux ans à faire un nouvel album. Était-ce prévu ?
S.S. : Si cela n’avait tenu qu’à moi, l’album aurait été terminé bien plus rapidement. L’écriture ne m’a pas pris trop de temps non plus, mais il m’a fallu attendre un an avant que les deux producteurs américains aient fait leur part du boulot. Ces types ont leur propre manager, ce sont des superstars. Donc lorsque je voulais modifier quelque chose, ils ne l’acceptaient pas sans broncher. J’ai souvent dû me battre à fond pour réaliser le disque tel que je le voulais.

Pas mal pour quelqu’un qui manque cruellement de confiance en soi…
S.S. : Si je ne l’avais pas fait, je ne me le serais jamais pardonné. Face à ces producteurs, j’étais vraiment dans mes petits souliers mais tout au fond de moi j’avais la conviction très forte que c’était ‘mon’ album et cela m’a donné la force de ne pas céder. Mais c’était terriblement fatigant de devoir chaque fois aller puiser si loin dans mes ressources. Si je n’avais pas eu la volonté nécessaire à ce moment-là, j’aurais sauté dans le premier avion pour la Belgique.

Vous avez fait preuve d’une grande maturité. La petite fille serait-elle devenue adulte ?
S.S. : Oui, je le pense. J’essaie de ne pas prendre tout cela trop au sérieux. Je suis bien consciente que je ne suis pas la seule à faire de la musique. Qu’il y a bien d’autres gens qui ont du talent et que personne n’attend la sortie de mon album parce que chacun est occupé à vivre sa propre vie.

Et pourtant, vous vous efforcez de réaliser un bon album ?
S.S. : Oui, je veux bien faire les choses. Non pas parce que je dois vendre un million d’albums, car je sais que ce n’est pas une garantie de bonheur. Mais je veux faire mon travail le mieux possible. Réaliser le meilleur album possible, jouer le mieux possible, m’occuper du mieux que je peux des personnes qui m’entourent. Et il m’arrive d’y arriver. Tout compte fait, je m’en sors plutôt pas mal.» (rires)

Nos repères
Née en 1989 à Louvain, Sanne Putseys est la plus jeune de trois enfants. Lorsqu’elle a dix-sept ans, l’auteur-compositeur Milow la prend sous son aile et la met en première partie de sa tournée en 2008. Elle sort en 2011 son premier album, Selah Sue, avec lequel elle part en tournée mondiale pendant plus de deux ans. Son deuxième album, Reason, vient de paraître chez Warner.

La voie de la raison
Selah Sue avait l’intention de faire de son deuxième album un ensemble clairement délimité, mais elle n’y est pas parvenue. « Je n’y arrive pas », constate-t-elle. « Je m’ennuie très vite. Par exemple, je trouve très chouette d’enregistrer un morceau soul, mais après un seul morceau, c’est bon, j’en ai fait le tour. » Comme son premier album, Reason est donc devenu un patchwork de styles. « Il y en a pour tous les goûts », rit-elle. Le titre peut être traduit littéralement par ‘la raison’, car ces quatre dernières années, la raison a joué un rôle important dans la vie de la chanteuse. « Avant, j’étais une boule d’émotions, mais après le succès du premier album, je ne pouvais plus me permettre de me laisser gouverner par elles. D’abord parce que je donne du travail à une dizaine de personnes qui, par-dessus le marché, sont toutes plus âgées que moi. Ensuite, il a été super difficile de réaliser cet album, et sans ‘la raison’, je me serais précipitée à l’aéroport de Los Angeles pour sauter dans le premier avion vers la Belgique. Et enfin, je suis devenue tout à coup la belle-mère de deux petites filles. Dans ce cas, passer toute la journée au lit, ça ne le fait pas. J’ai donc enfin trouvé la voie de la raison. »

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