Ce qui stresse le plus nos ados dans l’actualité ? Les violences faites aux enfants (44 %), l’état du monde (41 %) et celui de la planète (39 %), loin devant la politique (14 %), indique un sondage* paru avant la réélection de Donald Trump. « De toute façon, on n’aura pas de retraite », « Pourquoi faire des enfants si c’est pour leur offrir une vie horrible ? », « Oui, mais toi, c’était plus facile de ton temps »… « Quand, petite, ma fille avait peur du loup qui se planquait sous le lit, c’était simple de la rassurer, explique Bénédicte. Je lui expliquais qu’il n’existait pas. Mais là… »

Capitaliser sur ses forces

Le psychologue Eudes Séméria commence par relativiser : « Le monde a toujours été chaotique (guerre froide, chômage massif, sida) et l’inquiétude pour l’avenir est inhérente à l’adolescence : « Qu’est-ce que je vais faire de moi ? » Pour s’orienter correctement (dans une filière comme dans la vie), il faut déjà être bien situé ici et maintenant, avoir identifié sa place et ses repères dans le temps, l’espace, les relations, les émotions. » C’est tout l’enjeu de l’éducation : constituer une base d’attachement suffisamment forte pour que le jeune puisse se tourner vers nous s’il a besoin de réconfort, tout en l’autonomisant pour l’aider à faire face à ce qui l’attend (« Vis ta vie »), rappelle l’auteur d’Éduquer, c’est rendre responsable. Minimiser la gravité des faits pour le préserver n’a donc aucun sens. « Suffisamment sécurisés, ils ont les capacités d’amortir la violence du monde, nous rassure-t-il. Alors que si nous les surprotégeons, ils ne pourront pas cultiver les ressources intellectuelles, créatives, qui leur seront particulièrement précieuses pour affronter l’avenir. » Le Dr David Gourion nous met en garde : « Même s’ils ne “calculent” pas leurs parents, les adolescents sont de véritables éponges émotionnelles. Quand ça crie à la maison, cela vient entacher la qualité de la relation, la bonne ambiance familiale, qui devrait rester notre priorité, même quand les notes ne sont pas au rendez-vous ! »

Parents stressés, ados dépassés

Pour le psychiatre, la « peur du futur » incite en effet beaucoup de parents à exercer une trop forte pression scolaire sur leurs lycéens, entraînant dans les cas les plus graves un repli sur soi (phobie scolaire). « J’entends beaucoup d’injonctions paradoxales – du type “L’important, c’est que tu sois heureux” versus “Choisis un métier qui te permettra de bien gagner ta vie” – qui les démobilisent, rapporte l’auteur du Secret des ados heureux. Or l’humanité a autant besoin de chercheurs, de soignants et d’artistes que de commerciaux ou de financiers ! » Attention aussi aux « discours » négatifs que nous leur transmettons, souvent à notre insu. « Certes, il n’est pas facile d’être un modèle de cohérence quand on est soi-même un peu perdu, admet Eudes Séméria. Mais avec des jeunes biberonnés aux séries dystopiques, mieux vaut parler de “transformation” plutôt que d’“effondrement” (des valeurs, du vivant). Toutes les crises sont riches en opportunités. » Mais l’espoir a-t-il encore sa place dans notre vocabulaire de parent ? « C’est justement dans ces moments de découragement qu’il faut essayer de repérer dans l’actualité les occasions de se réjouir, insiste David Gourion. Et il y en a : progrès médicaux, initiatives solidaires, réveil de l’Europe, personnalités inspirantes**… Ce qui nécessite de rééduquer notre cerveau, configuré par défaut pour repérer le danger. Sans être d’un optimisme béat, nous pouvons essayer de transmettre à nos ados une vision du monde plus nuancée et plus stimulante intellectuellement. En commençant par nous intéresser à leurs préoccupations réelles et à leurs sources d’information : “La personne qui soutient ça dans la vidéo, elle le tient d’où ?” Si les informations “alternatives” sont très séduisantes à l’âge où on a envie d’être “populaire”, encourager l’esprit critique est plus efficace qu’un discours théorique sur les valeurs. La position de “parent sachant” est contre-productive avec les adolescents. »

« C’est quoi, ton combat ? »

« Les adolescents nous forcent à nous adapter, à nous confronter à nos ambivalences, souligne Eudes Séméria. Ce sont des poils à gratter ! » À condition qu’ils ne restent pas au stade des bonnes intentions. Bon nombre d’études en psychologie sociale le démontrent : l’engagement diminue le sentiment d’impuissance et réduit l’anxiété. « C’est pourquoi il ne faut pas hésiter à pousser l’adolescent à choisir une cause qui lui est chère (souffrance animale, faim dans le monde, péril écologique, cause des femmes) et à l’incarner concrètement, suggère le psychologue : en changeant sa consommation, en manifestant, en s’inscrivant dans une association, en tenant un blog… Car s’engager à fond dans un domaine, avec exigence, augmente l’“agentivité” (capacité à agir, à être maître de son existence) et muscle la résistance à l’adversité. En défendant ce qui le touche personnellement, le jeune défend son intégrité, son identité (d’écolo, de féministe…), ce qui lui donne confiance en lui et le fait grandir. » Un message que les ados recevront cinq sur cinq ! « La société leur renvoie souvent l’idée qu’ils ne servent à rien, qu’ils ne savent pas grand-chose, s’attriste David Gourion. Rappelons-leur plutôt que c’est l’âge où leur cerveau, en pleine maturation, bouillonne d’idées, est avide de découvertes, a des intuitions incroyables, comme l’ont prouvé Rimbaud ou Darwin ! » Plus que jamais, nous avons besoin de leur regard sur le monde, comme ils ont encore besoin du nôtre…

Les petites phrases qui les plombent…

  • « C’était vraiment mieux avant. »
  • « Tout est plus compliqué aujourd’hui. »
  • « On cherche à nous faire peur. »
  • « Profitons-en tant qu’il en est encore temps ! »
  • « Prends tes responsabilités »,
  • « Il faut savoir ce que tu veux » (trop vagues).

… et celles qui les réveillent

  • « Toi, tu as l’avenir devant toi. Tu as le potentiel pour faire bouger les choses. »
  • « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ! »
  • « On n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise. »
  • « Ce n’est pas la fin du monde, mais la fin d’un certain monde. »
  • « Tu as raison de me rappeler que, quand je prends un bain, je gaspille de l’eau potable. »

*Enquête menée par Ipsos du 22 novembre au 6 décembre 2024 auprès d’un échantillon représentatif de 1 000 jeunes âgés de 11 ans à 15 ans.
**Les avancées positives sont à retrouver sur les sites chroniques-optirealistes.fr, oceanoptimism.org et earthoptimism.cambridgeconservation.org.

Texte : Valérie Josselin

David Gourion : Médecin psychiatre et docteur en neurosciences, il est l’auteur de différents ouvrages sur l’adolescence. Dernier essai paru : Le Secret des ados heureux, pour protéger la santé mentale de nos enfants (Odile Jacob, 2024).

Eudes Séméria : Psychologue clinicien et psychothérapeute, spécialisé en thérapie existentielle. Il a publié cette année Éduquer, c’est rendre responsable, les nouvelles clés pour aider votre enfant à bien grandir (Albin Michel, 2025).