« Pendant des années, j’ai eu beaucoup de mal à dormir à deux. Se laisser aller au sommeil à côté de quelqu’un, cela me semblait tellement intime, comme si nos rêves risquaient de se confondre pendant la nuit », se souvient Tristane, 45 ans, qui a fini par apprivoiser le sommeil à deux avec son conjoint actuel. Si certains attendent de « trouver le bon » pour passer enfin des nuits harmonieuses ensemble, d’autres ne s’habituent jamais au lit conjugal, cette pratique récente qui s’est généralisée chez nous seulement au XIXe siècle. Comme 10 % des couples (Ifop, 2021), on peut bien sûr choisir de faire chambre à part (à condition que le logement le permette), mais pour ceux qui se désolent de ne pas réussir à (bien) dormir à deux, il peut être utile de mieux comprendre l’origine de ces réticences.
J’ai peur de me montrer imparfait
Ronflements, postures inhabituelles, bruits corporels disgracieux… La nuit, nous ne sommes pas toujours à notre avantage, d’où l’embarras de certains, qui craignent d’être jugés négativement par leur partenaire. « Prises dans une certaine anxiété de performance, ces personnes voudraient toujours être parfaites et se mettent trop la pression, décrypte Emmanuelle Bastille- Denis, docteure en psychologie et fondatrice du Centre de traitement de l’insomnie (ctinsomnie.ca), au Québec. Nous sommes aussi largement influencés par un idéal de couple attaché au sommeil à deux : comme dans les films, il faudrait s’endormir tout de suite, tendrement enlacés, après avoir eu évidemment un rapport sexuel. » Il faut parfois un peu de temps pour accepter de perdre le contrôle devant quelqu’un et se sentir suffisamment en confiance pour oser se montrer tel que l’on est.
J’ai un sommeil difficile
Adeptes des bouchons d’oreilles ou même des bandeaux sur les yeux, certains, particulièrement sensibles à leur environnement, ont besoin de contrôler tous les paramètres extérieurs pour parvenir à glisser dans le sommeil. Rais de lumière, bruits de respiration, mouvements de matelas… Un rien les dérange, d’où la difficulté de dormir avec quelqu’un qui vient perturber leur routine. « Ces gens très pointilleux sont parfois des traumatisés du sommeil, qui ont vécu des phases d’insomnie plus ou moins importantes, dans leur enfance ou après un burn-out ou une dépression : ils ont trouvé une méthode d’endormissement qui semble fonctionner pour eux et en ont gardé une certaine rigidité », analyse Emmanuelle Bastille-Denis.
J’ai besoin d’indépendance
« Après la naissance de notre fille, nous avons décidé de faire chambre à part pendant quelques mois. Je préférais être tranquille pour l’allaiter et récupérer lorsque je le pouvais. Cette parenthèse nous a été bénéfique et nous a permis d’entamer une nouvelle étape de notre vie de couple », raconte Valérie, 38 ans. Enfant en bas âge, nouveau travail avec des horaires différents, période de maladie… Délaisser le sommeil à deux peut aussi être passager. « C’est parfois tout simplement un désir de se retrouver avec soi-même, de s’offrir une ou plusieurs nuits où l’on n’aura pas besoin de faire attention à l’autre, estime la psychologue Johanna Rozenblum. Mais si le fait de dormir seul marque un rejet de l’autre, il peut être utile de s’interroger sur ce qui s’installe à bas bruit dans le couple, sur des rancoeurs qui n’ont peut-être pas été verbalisées… » On peut bien sûr aimer son conjoint sans aimer dormir avec lui, mais il est souvent utile de débattre du sujet ensemble pour éviter les malentendus.
La solution d’Éva, 40 ans : « Je garde une porte de sortie »
« J’ai besoin de mon cocon, de mon rythme, mes petites habitudes lorsque j’ai du mal à m’endormir et que les pensées tournent en rond dans ma tête. Dans le lit commun, je me sentais un peu bloquée et cela ne faisait qu’empirer mes insomnies : je guettais le moindre bruit, le mouvement le plus infime… Comme nous n’avons pas de chambre d’amis, j’ai rangé une petite couette dans le placard du salon et je sais qu’en cas de besoin je peux aller bouquiner ou finir ma nuit sur le canapé. Le fait d’avoir cette porte de sortie me rassure et me permet finalement de mieux dormir à deux car j’ai l’impression de le choisir davantage, et non plus de le subir. »
Nos 4 conseils :
- Interrogez-vous sur ce qui fait obstacle : Est-ce une question de bruit ? Un sentiment de vulnérabilité ? Une peur de revivre des troubles d’endormissement liés à l’enfance ou à des traumas plus récents ? « Il peut être utile de s’interroger sur ce qui fait obstacle, estime Johanna Rozenblum, psychologue, d’essayer de comprendre ce que représente pour nous le fait de dormir à deux. »
- Conservez une routine : Essayez de conserver la routine qui vous apaise avant de dormir. Bannissez les écrans, continuez à lire au lit si c’est votre habitude, couchez-vous plus tôt que votre conjoint si vous n’avez pas les mêmes rythmes biologiques.
- Tentez l’humour : Osez nommer ce qui vous fait peur dans le sommeil partagé, riez ensemble de vos petits travers… Vous n’êtes peut-être pas toujours au top de votre séduction lorsque vous dormez, mais votre partenaire ne l’est sans doute pas davantage.
- Habituez-vous progressivement : Commencez la nuit ensemble puis éclipsez-vous ailleurs si le sommeil ne vient pas, choisissez de partager des nuits où vous ne travaillez pas le lendemain et où le manque de sommeil se fera moins sentir. « Plus on se dit qu’il faut s’endormir pour être en forme le lendemain, moins on y arrive, rappelle Emmanuelle Bastille-Denis. Mieux vaut donc se mettre moins la pression et s’entraîner pour (ré)intégrer le lit conjugal en douceur. »
À lire :
Un lit pour deux, la tendre guerre de Jean- Claude Kaufmann. Entre désir d’épanouissement personnel et aspiration à la fusion romantique, un décryptage passionnant du lit conjugal et des aspirations contradictoires qui s’y jouent parfois (Pocket, 2016).
Texte : Ségolène Barbé