Même si photos et messages se partagent aujourd’hui en abondance sur WhatsApp ou Instagram, les cartes postales, petits rituels de l’été, vintage et uniques, font toujours recette. Elles séduisent surtout les jeunes : 33 % des 18-25 ans et 31 % des 25-34 ans en écrivent régulièrement, contre seulement 17 % des plus de 50 ans*.
À l’heure du clavier roi, la correspondance manuscrite semble ainsi retrouver une certaine aura : plus de huit cent mille personnes pratiquent le postcrossing (postcrossing.com), qui permet d’envoyer des cartes postales à des inconnus un peu partout dans le monde et d’en recevoir en retour. D’autres préfèrent écrire des lettres, à leurs proches ou bien à des correspondants inconnus dénichés grâce à des sites Internet (epistolia. com, noubliepasdecrire.com…) ou des groupes Facebook privés. Pourquoi ce regain d’intérêt pour les relations épistolaires alors qu’il est si facile aujourd’hui de communiquer instantanément ? Quels bénéfices en retirent ces amoureux du papier et des timbres ?
La sensorialité en éveil
Un peu comme les enfants, si heureux de recevoir les premiers courriers à leur nom, on a souvent le coeur qui bat un peu plus fort lorsqu’on déniche dans sa boîte une « vraie lettre » au milieu des factures et des publicités. On cherche à reconnaître l’écriture, on inspecte le tampon de la poste, on soupèse l’enveloppe en se demandant qui a bien pu penser à soi… « Recevoir un courrier, c’est vivre une suite d’expériences sensorielles très agréables : admirer le timbre lorsqu’il est joli, parcourir la lettre, la poser et plus tard la relire, se mettre à son bureau pour répondre, choisir un beau papier, un stylo qui nous plaît, construire une enveloppe originale avec du papier cadeau ou une page de magazine par exemple », commente Cécile Glasman (@cecileglasman), coach en écriture et adepte de la correspondance depuis son enfance. Envoyer ou recevoir du courrier, c’est enchanter un peu son quotidien et celui des autres, oublier les écrans pour renouer avec quelque chose de plus matériel et sensoriel.
Pour écrire leurs cartes de Noël et d’anniversaire, certains pratiquent ainsi le lettering (letteringcreatif. com), une sorte de calligraphie moderne, qui permet de renouer avec des outils simples et ludiques souvent liés à l’enfance (feutres, crayons de couleur…). Cécile Glasman, elle, glisse souvent dans les enveloppes qu’elle envoie à ses proches des petites surprises : sachets de thé, carnets, tablettes de chocolat… « En ce moment, j’écris à mes amis sur un papier à lettres fleuri, comme pour célébrer ensemble les beaux jours, raconte-t-elle. Si une de mes amies vit un moment difficile, lui envoyer un mot est aussi une forme de soutien, une manière de lui donner de la force par la pensée. »
Une émotion durable
En famille, en couple ou entre amis, la correspondance permet de nourrir les liens autrement. On peut écrire à ceux qui sont loin, pour leur donner des nouvelles, mais aussi à ceux que l’on voit régulièrement, comme une manière d’accompagner autrement la relation, en envoyant un mot de remerciement, une petite pensée, un article qui nous a intéressés… « J’avais un amoureux qui m’envoyait régulièrement des cartes postales, se souvient Camille, 38 ans. Alors qu’on se voyait quasiment tous les jours, c’était comme une relation parallèle entre nous. Par ces quelques mots griffonnés au dos d’un paysage ou d’une peinture qu’il aimait bien, il me disait ainsi autre chose de lui et de ses sentiments pour moi. »
« C’est beaucoup plus riche émotionnellement de recevoir une vraie lettre d’amour, qu’on pourra relire et garder, qu’un texto avec des émoticones, confirme le psychologue Eudes Séméria, auteur d’Écrire, dépasser les peurs qui nous limitent (Albin Michel, 2023). Autrefois, on y mettait même du parfum, des fleurs séchées… Avec une lettre, on rejoue quelque chose de la séduction : on cherche à se faire beau, on se montre plus sincère, on dévoile parfois sa fébrilité à travers son écriture. » En écrivant une carte ou une lettre à la main, on accorde à l’autre une véritable attention, et on éveille aussi chez lui l’envie de se livrer en retour, puisqu’on a pris du temps pour lui demander réellement de ses nouvelles, au-delà du simple « Ça va ? », dont on n’écoute en général même pas la réponse.
L’éloge de la lenteur
Rédiger une lettre, trouver une enveloppe, acheter un timbre, courir à la poste… Par ces petites actions successives, nous choisissons de dire non à l’instantanéité pour retrouver un temps plus long. « À l’heure des mails et des textos, écrire des lettres, c’est presque une forme de résistance par rapport à une vie qui va toujours à cent à l’heure, estime Charlotte Tortat, animatrice d’ateliers d’écriture créative (@le_jubilatorium). C’est oser faire un pas de côté et s’accorder un temps non essentiel où l’on ralentit et où on se pose avec soi-même. » En prenant son temps, on en laisse aussi davantage à l’autre. Alors que nous exigeons souvent des réponses ultra-rapides à nos mails et textos, nous devenons plus respectueux de sa liberté, guettant sa réponse dans la boîte aux lettres sans savoir à quel moment elle arrivera. « La correspondance redonne une place à la pensée et au désir, décrypte Cécile Glasman. Au silence aussi : dans un monde très bavard où tout le monde parle tout le temps, cela fait du bien d’écrire sur une page blanche seulement quelques mots qui, ainsi, résonneront sans doute davantage. »
Loin de l’injonction de performance et d’efficacité qui rythme d’habitude notre vie, écrire à la main demande plus de temps mais se révèle aussi peut-être plus fécond. « On écrira beaucoup moins de banalités à la main qu’à la machine, assure ainsi le linguiste Alain Bentolila. La brutalité de la frappe a tendance à accélérer la pensée, à bousculer les idées les unes avec les autres. Au contraire, la relative lenteur de l’écriture manuelle laisse le temps nécessaire pour organiser sa pensée et son discours. »
L’introspection à l’honneur
Lorsque nous écrivons à la main, nous sommes entièrement concentrés sur notre tâche, attentifs au choix des mots que nous traçons sur le papier. Nous osons dire aussi ceux qui nous pèsent et qu’on n’oserait pas prononcer forcément en face-à-face. « Lorsque j’avais 16 ans, j’ai subi une agression sexuelle dont je n’ai osé parler à personne pendant plusieurs années, se souvient Delphine, 52 ans. Comme cela me pesait, j’ai décidé de me confier par lettre à trois amis proches, à qui j’ai écrit exactement la même chose. C’était plus facile pour moi de trouver les mots par écrit, nous avons pu ensuite en reparler ensemble et cela m’a fait un bien fou. »
C’est aussi par courrier que Delphine a échangé avec son père avant sa mort. « C’était une manière de lui dire adieu, de lui parler de tout ce qui allait me manquer chez lui. Je sais par ma mère qu’il a relu ma lettre plusieurs fois », poursuit-elle. En écrivant à un autre, nous cherchons aussi à y voir plus clair en nous, à mieux nous comprendre, à faire le point sur ce qui nous touche. « Lorsque je me dispute avec mon mari, il m’arrive de lui écrire des lettres, raconte Marie, 42 ans. Parfois, je les poste à son intention, parfois je les garde pour moi. Même lorsqu’il ne les lit pas, cela me fait du bien car j’ai l’impression d’avoir mieux compris ce que je ressentais, de m’être libérée de ce que j’avais sur le coeur. »
La correspondance nous relie aux autres mais aussi à nous-mêmes. « Dans l’écriture, il y a quelque chose de l’inconscient qui jaillit, résume Cécile Glasman. Elle sait des choses de nous que nous ne savons pas encore. »
*Source : « Les Français et les cartes postales », enquête OpinionWay/Popcarte, juillet 2021.
Texte : Ségolène Barbé