Posé sur une table de nuit, glissé dans une poche ou dans un sac à main, parfois porté autour du cou, notre téléphone nous suit vingt-quatre heures sur vingt-quatre, toujours au plus près de nous. « Au-delà de son aspect purement utilitaire, c’est un objet de construction identitaire, de présentation de soi, décrypte Catherine Lejealle, sociologue du numérique et chercheuse à l’ISC Paris. Nous l’arborons partout dans la sphère publique : dans les transports, au travail, chez des amis… Bien plus que les vêtements, dont nous changeons chaque jour, ou que nos voitures, très standardisées, nos smartphones font partie de ce qu’on appelle le “soi étendu” (extended self). » Modèle, choix des applications, mode d’utilisation… Qu’est-ce que notre téléphone révèle de nous ? Cet appareil conçu d’abord pour nous rapprocher des autres peut-il aussi nous éclairer sur nous-mêmes ?
Le téléphone : un marqueur d’un statut
Dès le choix du modèle, nous dévoilons sans doute à notre insu une part de notre personnalité. « Des études ont montré que les utilisateurs d’iPhone ont souvent un profil plus narcissique et attachent beaucoup d’importance à l’image et à l’esthétique : ils considèrent davantage leur smartphone comme un objet de statut. Les utilisateurs d’Android seraient, eux, moins sensibles au regard des autres et plus intéressés par la fonctionnalité de leur appareil », explique Sébastien Herry, psychologue social et fondateur de l’Observatoire psycho-social du numérique. « Pour beaucoup de jeunes, l’iPhone représente un symbole de richesse : ils veulent avoir le dernier mais le préfèrent reconditionné, parce que cela coûte moins cher mais aussi parce que c’est plus écolo », note Catherine Lejealle.
Face aux fans d’Apple qui louent l’efficacité d’un circuit fermé, où tous les produits de la marque (téléphone, tablette, ordinateur…) fonctionnent ensemble, les utilisateurs d’Android affirment peut-être aussi leur indépendance d’esprit, refusant de se soumettre à l’écosystème d’une seule marque en affichant leur préférence pour les systèmes ouverts.
Un kaléidoscope de nos goûts et valeurs
Photo des enfants, des dernières vacances ou de l’expo dont tout le monde parle… Votre fond d’écran en dit aussi beaucoup sur vos liens affectifs, vos centres d’intérêt ou vos préoccupations du moment. « Je le change souvent : j’ai l’impression que cette photo que je choisis soigneusement chaque semaine m’aide à voir la vie de manière plus positive, à me souvenir de ce qui est important pour moi, raconte Domitille, 50 ans. Lorsque j’ai eu un enfant, je mettais souvent des photos de mon bébé : j’étais fière de changer de statut, d’intégrer enfin la tribu des mères. »
Rock ? Jazzy ? Classique ? Générique de dessin animé ? La sonnerie que vous avez choisie révèle elle aussi vos goûts, votre humour ou votre culture musicale. Mais c’est bien sûr l’intérieur de votre appareil qui recèle vos secrets les mieux gardés. Que vous cherchiez à perdre du poids, à surmonter votre anxiété ou à mieux vivre certains effets indésirables de la ménopause, vous avez peut-être téléchargé des applications pour vous y aider. Plus globalement, les applis que vous utilisez au quotidien dévoilent vos traits de caractère dominants. « Les personnes extraverties utilisent beaucoup les applis de réseaux sociaux, de divertissement et de rencontres, tandis que les plus introverties préfèrent les liseuses ou les applis de streaming audio et vidéo, note Sébastien Herry. Des chercheurs américains ont aussi identifié d’autres profils, comme les consciencieux, qui se tournent vers les applications de productivité (agenda, prise de notes…), ou les personnes ouvertes à l’expérience, qui privilégient les applis de voyage et d’éducation. »
Bien sûr, il est rare d’entrer dans une seule catégorie. Sorte de kaléidoscope, le téléphone nous permet aussi de jongler, selon les moments, entre nos facettes, de rassembler toutes nos identités – parentale, amoureuse, amicale, professionnelle… Photos en vrac ou rangées par dossiers, groupes WhatsApp jamais effacés ou nettoyés régulièrement… Reflet de la manière dont nous gérons notre vie, il en dit long aussi sur notre rapport à la mémoire, au temps qui passe ou simplement sur notre sens de l’organisation.
Une façon de se présenter au monde
À la frontière entre l’intime et le lien avec l’autre, notre smartphone révèle aussi notre degré d’autonomie par rapport au monde extérieur. Si vous êtes accro aux notifications, vous êtes sans doute atteint de FOMO (fear of missing out), cette peur de rater quelque chose révélatrice d’une certaine dépendance affective. Si vous ne supportez pas de mettre votre portable sur silencieux (« On ne sait jamais, si on cherche à me joindre »), vous êtes peut-être un peu trop anxieux. Certains utilisent leur téléphone comme un support plutôt convivial dans les conversations entre amis – montrer des photos, vérifier une info liée à la discussion… – mais d’autres en font parfois un obstacle à la communication, le dégainant de manière intrusive en société pour checker leurs messages même s’il n’y a aucune urgence. « C’est parfois une manière de montrer qu’on est quelqu’un d’important, de débordé, avec des tas de choses à gérer », suggère Catherine Lejealle. La place que vous donnez à votre téléphone dans votre vie peut aussi vous faire réfléchir sur vos failles – dépendance affective, manque d’estime de soi, difficulté à profiter du moment présent… – et sur la manière dont vous pourriez les surmonter.
Texte : Ségolène Barbé