Un dimanche après-midi de la fin du mois d’août, nous sommes douze participants, réunis dans le salon d’un beau chalet du petit village de Champagny-le-Haut, sur le versant sud du domaine de La Plagne. Venus d’un peu partout, nous avons tous fait une longue route pour vivre ensemble cette semaine un peu hors du temps organisée par « Chemin de la santé », centre de référence*, qui a accompagné depuis 2012 plus de cinq mille jeûneurs. Nous sommes logés dans des chambres individuelles cosy avec édredon moelleux, décor savoyard et salle de bains individuelle, nous allons expérimenter pendant cinq jours une cure à base d’eau, jus de fruits, bouillons et tisanes, selon la méthode douce du Dr Otto Buchinger, médecin allemand connu pour avoir popularisé le jeûne thérapeutique en Europe de l’Ouest dès les années 1920.

Deux cents calories par jour

Pour accomplir notre randonnée quotidienne (entre quatre et six heures de marche), nous n’aurons, en guise de « carburant », que deux cents à deux cent cinquante calories par jour : un jus de fruit le matin et un bouillon très clair le soir, vers 19 heures. Moi qui suis une bonne vivante, cette diète m’inquiète un peu. J’ai peur d’avoir un malaise en pleine montagne, ou de déprimer seule dans ma chambre. Mais j’ai aussi envie de changer mon rapport à la nourriture, de devenir plus consciente des aliments que je prépare et ingère chaque jour sans forcément prendre le temps d’y penser ni de les savourer. Pleine de bonne volonté, j’écoute le mot d’accueil d’Émeline**, la naturopathe qui nous accompagnera tout au long de la semaine. « Il arrive que l’on se sente fatigué, mais cela repart en général pendant la balade, nous rassure- t-elle. Grâce à la randonnée, vous allez perdre de la masse graisseuse sans piocher dans votre masse musculaire. » Parmi mes camarades, âgés de 40 à 65 ans environ, je compte seulement trois hommes, dont deux sont venus en couple. Chacun se présente à tour de rôle, et je comprends rapidement que je suis la seule à tenter l’expérience pour la première fois. Véronique, 56 ans, en est à son neuvième jeûne : depuis ses 50 ans, elle en fait environ deux par an, l’un au printemps, l’autre à l’automne, et a noté un effet très bénéfique sur les symptômes liés à la ménopause (bouffées de chaleur, troubles du sommeil…). « Pendant six mois, j’ai une pêche d’enfer ! C’est vrai que c’est un budget, mais cela me fait beaucoup plus de bien que d’aller dans un all inclusive où je vais manger un peu n’importe quoi », estime-t-elle. Ophélie, 40 ans, a déjà testé l’expérience à 20 ans, puis à 30 ans. « Depuis, j’ai eu trois bébés en neuf ans, raconte-t-elle. Mon corps a beaucoup donné, il a maintenant besoin que je m’occupe de lui. » Chefs d’entreprise minces et dynamiques, Patricia et Hubert viennent chaque année recharger leurs batteries, s’offrir un « joli nettoyage » et oublier les excès de leurs déjeuners d’affaires. À côté du bar à tisanes (verveine, ortie, fenouil…), où nous disposons chacun d’un casier avec une tasse et un verre, Émeline nous montre les petits remèdes qui pourront nous venir en aide au cours de la semaine : une cuillerée d’argile en cas d’acidité de l’estomac, du miel si on manque d’énergie, des huiles essentielles. Des balances nous permettront de suivre l’évolution de notre poids, des tensiomètres de surveiller notre tension chaque matin. Lorsque, après le bouillon du soir, Émeline nous distribue un mystérieux petit sachet blanc – du « sulfate de magnésium », à boire avec un litre d’eau minimum –, je sens dans l’air une certaine solennité. Ce soir, c’est « la purge ». Un moment certes peu glamour – d’ici trente minutes à deux heures, nous allons tous nous vider sur le siège des toilettes –, mais un rituel qui marque le début d’une sorte de purification intérieure.

Séance de taï-chi animée par Émeline (en débardeur, à gauche).

Le corps aux commandes

Dès le lendemain, notre routine se met en place : réveil musculaire ou yoga dès 8 heures, avant le délicieux jus de fruits bio préparé par Sandrine, la cuisinière ; randonnée de 9 heures à 14 heures avec un guide ; temps libre où nous pouvons profiter du hammam et du sauna, lire sur la terrasse avec une tisane ou nous offrir un soin (réflexologie, drainage lymphatique…) qui devrait soutenir le processus de détoxification.

Chaque soir, Émeline nous propose des conférences : « Améliorer son sommeil », « Qu’est-ce qu’une alimentation saine ? »… « Le corps sait s’adapter à très peu de nourriture : il faut juste le laisser faire. C’est la tête qui nous dit “je n’y arriverai pas” », nous explique-t-elle ce premier soir. En effet, cinq jours sans rien manger de solide, cela ne semble pas énorme si l’on pense au record détenu depuis 1965 par un jeune Écossais obèse de 27 ans, qui, après un jeûne de trois cent quatrevingt- deux jours sous supervision médicale, avait perdu cent vingt-cinq kilos. Pourquoi se sent-on aussi bien après un jeûne ? « Comme notre corps a besoin de protéines et qu’il ne les reçoit plus par notre alimentation, il va les chercher dans les vieilles cellules des intestins, poursuit Émeline. Le jeûne permettrait de déraciner les cellules précancéreuses, un peu comme dans la jungle, où ce sont les animaux les plus faibles qui disparaissent. À partir du troisième jour s’opère un nettoyage qui aide à se remettre à neuf de l’intérieur. On pense à tort que le jeûne fragilise le corps, en fait il le nettoie et lui permet de mieux fonctionner. »

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Pour que le nettoyage soit le plus efficace possible, il est conseillé de faire deux fois dans la semaine un lavement intestinal, pour vider le gros intestin et se délester de la bile produite par le foie que nous évacuons habituellement avec les selles. Sans grand enthousiasme, j’emporte dans ma chambre le tuyau souple relié à un sac de lavement, contenant jusqu’à deux litres d’eau tiède. Ici, j’ai vraiment l’impression de faire connaissance avec l’intérieur de mon corps. Je me surprends à penser à quel point ce serait libérateur si je pouvais purger de la même manière les pensées négatives qui tournent parfois en boucle dans mon cerveau. J’aime cette sollicitude qui nous lie les uns aux autres, cette solidarité qui naît de notre vulnérabilité commune. « Bien dormi ? », « Pas trop mal à la tête ? », « Alors, comment s’est passé ton lavement ? Oui, la première fois, cela fait un peu bizarre. »

Vendredi soir, la reprise alimentaire (crudités et salade de fruits), un moment solennel et convivial.

Vendredi soir, la reprise alimentaire (crudités et salade de fruits), un moment solennel et convivial.

Une pause physique et mentale

Guidés par les plus aguerris, nous sommes des sortes d’explorateurs de cette machinerie intérieure que nous connaissons finalement si mal. Tous m’encouragent lorsque je leur parle de la faim qui me tenaille – et ne me quittera pas de la semaine – en fin de journée, quand l’odeur du bouillon me chatouille les narines. Le plus pénible est sans doute de rompre avec mes habitudes. En rentrant de randonnée, je me surprends à penser au bon déjeuner qui nous attend, et puis je me rappelle que cette semaine, je ne mange pas. Ai-je vraiment la sensation de faim ou est-ce « dans ma tête » ? Difficile à dire. Je dois bien reconnaître que, malgré ampoules, douleurs articulaires et quelques maux de tête, je ressens une grande énergie.

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Libéré du travail de la digestion, mon corps me semble plus léger. Je me réveille de plus en plus tôt, dès 6 heures du matin à partir de la deuxième nuit, mais je ne me sens pas fatiguée. Parfois déstabilisante, l’absence de nourriture est aussi un repos, une pause dans la charge mentale. « Lorsque tu sors d’ici, tu vois les choses plus clairement, m’assure Valentine, qui vient régulièrement avec son mari Éric. Ce stage oblige à ralentir. Si je m’écoutais, pendant les randonnées, je marcherais encore beaucoup plus lentement. »

Comme la marche que nous effectuons chaque jour dans un cadre magnifique, il y a dans ce cheminement du jeûne quelque chose de méditatif, une manière de prendre du recul sur sa vie, de repousser ses limites. Beaucoup tentent d’ailleurs ce « saut dans le vide » à un moment de transition dans leur vie : crise de couple, ménopause, reconversion professionnelle, retraite… Certains, comme Éric, grand adepte de course et de vélo, apprécient aussi le côté « challenge ». « C’est vrai que c’est un défi de réussir à marcher à jeun douze kilomètres avec cinq cents mètres de dénivelé, reconnaît-il. Cela permet aussi de dépasser ses idées reçues. Je pensais que c’était dangereux de ne pas manger. J’avais peur aussi qu’il n’y ait ici que des gens “perchés”, alors que ce n’est pas du tout le cas. »

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Au bout de cinq jours, on compare les kilos perdus (seulement trois pour moi, je suis un peu déçue), on se prépare avec plus ou moins d’impatience à la reprise alimentaire du vendredi soir, où chacun va pouvoir goûter à un fruit ou à un légume qu’il a choisi en début de semaine. Quel sentiment étrange de mâcher à nouveau ! Ce soir-là, nous préparons aussi quelques denrées qui nous permettront de reprendre l’alimentation en douceur : pain au levain, rouleaux de printemps aux crudités, tartare d’algues…

Chacun prend au moins une bonne résolution : manger plus lentement, diminuer le sucre ou le fromage, tester régulièrement le jeûne intermittent (ne rien manger entre 20 heures et 13 heures le lendemain) ou les journées monodiète (raisin, riz complet, légume…). Je promets pour ma part de déguster chaque bouchée, de me souvenir de la saveur de ce bouillon que j’attendais avec tant de ferveur chaque soir à 19 heures. Cette semaine, je l’ai compris : ma santé est entre mes mains, et elle passe aussi par le contenu de mon assiette.

*Chemin de la santé (chemindelasante.com), certifié par la Fédération francophone jeûne et randonnée (FFJR, ffjr.com), qui recense plus de huit cents séjours de jeûne et randonnée en France.

**Compte Instagram d’Émeline : @Emynaturaly.

Recommandations : avant d’entamer un stage « Jeûne et randonnée », toujours prendre conseil auprès de son médecin traitant. En savoir plus sur les contre-indications : ffjr.com/faq/quelles-sont-les-contre-indications.

Texte : Ségolène Barbé