“J’ai fait un test ADN” – Le témoignage de Liliane, 63 ans

Je n’ai pas pesé le pour et le contre, je n’ai jamais réfl échi, en fait. Ce test, il y avait longtemps que je voulais le faire, il a fini par s’imposer à moi, c’était vital. J’avais besoin de comprendre. Pourquoi est-ce que j’avais depuis toujours un ressenti de vacuité, d’illégitimité, l’impression que la réalité qu’on me présentait ne me correspondait pas ? Du plus loin que je me souvienne, alors que ce n’était pas mon histoire, je faisais des rêves de rafles, de soldats allemands qu’il faut fuir. J’ai même eu des flashs avec des scènes du ghetto… Dès que j’ai su qu’il existait des tests pour savoir d’où l’on vient, j’ai eu envie d’en faire un. Mais j’étais un être trop vaporeux, pas su  samment incarné pour prendre une décision pour moi. Jusqu’au jour où l’occasion s’est enfi n présentée. J’avais 57 ans, j’étais à l’étranger, c’est une amie chercheuse qui m’y a incitée. Soudain, c’était une évidence. Comme si une force qui m’avait toujours poussée me disait : “Vas-y, tu vas finir par comprendre.” J’ai commandé le kit, fait le test sans l’ombre d’une crainte. Et les résultats sont tombés : 50 % de gènes ashkénazes. Difficile d’exprimer l’émotion que j’ai ressentie. Soudain, tout se mettait en place. J’ai retrouvé une demisoeur qui m’a aidée à reconstruire le puzzle : mon père – le vrai –, le grand amour secret de ma mère, était donc juif. Enfant, il a failli être déporté, mes grands-parents ont été exterminés à Auschwitz. Sur le coup, j’ai pleuré et tremblé pendant des heures. Mais pour la première fois de ma v ie, je me senta is ex i ster. Depuis, je ne suis plus une coque vide, j’ai un poids, une solidité. Mes cauchemars se sont arrêtés. Je me suis libérée, et mes enfants avec moi, du fardeau écrasant du secret. »

“Je lui ai dit enfin que je l’aimais” – Martin, 72 ans

Le travail souterrain a duré treize ans, mais la décision finale m’a presque échappé. Comme un barrage qui cède. Claire et moi, nous étions un couple de travail, fusionnel. 27 et 28 ans quand nous nous rencontrons. Dès le début, une connivence parfaite, des milliers de points communs : faits pour nous compléter. Mais deux vies déjà construites. Pendant des années, nous avons passé nos journées dans le même bureau, parfois des soirées avec nos conjoints respectifs. On voyageait aussi beaucoup ensemble, pour le boulot. C’est lors d’une énième mission au Mozambique – Claire venait d’avoir 40 ans – que les freins ont lâché. Après le dîner, nous prenions un verre dans le salon de l’hôtel. Et soudain, Claire m’annonce qu’elle en a marre et qu’elle plaque tout : le boulot, son mari… “Mais non, tu ne peux pas partir, parce que je t’aime.” Je ne sais pas d’où sont sortis ces mots, je n’ai pas réfl échi une seconde. Mais c’était une décision capitale, en fait mûrement construite. Comme on pose l’arête faîtière sur une maison pour la terminer : tout le reste, on l’a construit avant. Aussi abasourdis l’un que l’autre, nous nous sommes tombés dans les bras. Quelques mois plus tard, nous faisions notre coming out. Une vraie déflagration pour nos conjoints, mais nous étions sur notre petit nuage. Un an après, nous quittions notre boulot, montions notre boîte. Tout s’alignait enfi n, et depuis trente ans, on trace tout droit. »

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“J’ai commencé une psychanalyse” – Victoire, 47 ans

Il a fallu que ce soit ma fi lle qui aille mal pour que je me décide à prendre enfin rendez-vous pour moi avec un psy ! Cela faisait des années que j’y pensais. J’ai un fond d’angoisse perpétuelle, une situation familiale complexe… Mais je me disais : “C’est ma nature, il n’y a rien à faire.” Après tout, je n’avais pas subi de trauma majeur. Seule avec mes deux enfants, je n’avais ni le temps ni l’argent pour ça. Mais j’ai été rattrapée par la puissance du refoulé. Alma devait avoir 12 ans, elle n’allait pas bien du tout, et pour elle, je n’ai pas réfléchi une seconde. J’ai trouvé une thérapeute, nous sommes allées au premier rendez-vous toutes les deux. Mais là, à peine je me lance dans l’anamnèse que c’est moi qui fonds en larmes. Pendant une heure, je pleure et je parle. C’est en sortant que je me suis dit : “Je demande à ma fille de faire une thérapie, mais c’est à moi d’en faire une.” Pour finir de me convaincre, une amie m’appelle, et là, de nouveau, je fonds en larmes. J’entends encore ses mots : “Il faut que tu t’occupes de toi, tu mérites d’aller vers la lumière.” Elle m’avait donné trois noms de psys, j’en ai choisi un. Quinze jours plus tard, j’étais dans son cabinet. C’était il y a trois ans, et c’est la meilleure décision que j’ai prise de ma vie. J’ai vu des noeuds commencer à se dénouer, je prenais conscience de mes répétitions… Je suis convaincue que le processus de changement est en marche. C’est déjà un grand apaisement. »

“J’ai envoyé un SMS à une fille” – Luna, 28 ans

Je ne connais rien de plus angoissant que de devoir prendre une décision : soit je laisse la situation prendre le dessus, soit je fais des listes sans fin de pour et de contre. Ce jour-là, j’ai passé deux heures à me demander : “Qu’est-ce que je veux ? Que veut dire ce message ? Si je l’envoie, c’est que je laisse une place à ça dans ma vie. C’est tout sauf anodin. Mais si je ne l’envoie pas…” Sans doute que le processus était à l’oeuvre depuis longtemps, mais j’étais alors une jeune femme hétéro. Jusqu’à ce festival, une semaine plus tôt, et cette fille qui, après m’avoir ouvertement draguée, m’avait demandé si elle pouvait m’embrasser. “Oui.” Jamais personne ne m’avait embrassée comme ça. Et de retour à Paris, cette fille s’est mise à m’obséder. J’avais son adresse Instagram, et la question me torturait  : je lui écris ou pas ? Lui écrire, c’était acter que je voulais la revoir. Un point de rupture avec la personne que j’étais jusque-là. C’était aller vers mon désir, et l’assumer. J’ai fi ni par envoyer un message, qui a changé le cours de ma vie. La fi lle m’a posé un lapin, mais le pas était franchi. Mon horizon s’ouvrait. Malgré mes peurs, j’éprouvais une sensation de liberté, de joie et d’alignement avec moi-même. Cinq ans ont passé, je savoure et j’assume aujourd’hui mon homosexualité, et cette sensation de joie profonde ne m’a jamais quittée. »

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Témoignages recueillis par Marie-Claude Treglia.