“J’ai été abusée dans mon enfance et je me sens toujours coupable de tout. Je sais pourtant bien que ce n’est pas rationnel, que je ne suis pas responsable, en tout cas pas de cet abus, et pourtant, ça se poursuit, ça me poursuit. Pouvez-vous m’aider ?” Marianne, 56 ans.

Merci, Marianne, pour votre mail courageux et tellement illustratif malheureusement du fait que les innocents bien souvent se sentent plus coupables que ceux qui ont atteint au corps ou à la vie d’autrui.

Visiblement vous avez étudié le phénomène, vous citez dans votre mail diverses lectures qui vous ont aidée à percevoir ce qui vous arrivait et vous avez lucidement repéré que la culpabilité souvent se retourne sur l’enfant abusé, par exemple, plutôt que sur l’abuseur. Ce dont vous ne parlez pas et qui importe, à mon sens, touche la grande difficulté qu’il y a à se permettre de détester celui par qui le mal est advenu, de lui en vouloir, de le mettre à distance… de le haïr, et j’use de ce mot à dessein.

Il ne s’agit pas de soutenir la haine pour la haine, mais d’utiliser ce mot pour la reconnaissance d’une émotion le plus souvent tapie, qui, sans être vécue, identifiée, reconnue, ne pourra s’évacuer et se maintiendra en sous-teinte à l’insu de son porteur. La détresse, la colère, la rage, insoutenables, débordent totalement le petit enfant qui ne peut résister, et qui ne dispose pas d’un appareil psychique suffisamment construit pour contenir ces émotions dévastatrices…

Une solution alors est de les expulser… sur l’autre. « Je déteste l’autre » – impossible à penser – devient « c’est l’autre qui est en colère, qui me déteste, qui me hait pour ce que je fais… ».

Comment haïr un père ou une mère qui fait des horreurs ? Que faire de ce sentiment terriblement éprouvant et réprouvé, lorsqu’il est à la fois légitime et impossible à vivre car un enfant aime son parent quoi qu’il arrive ? Que faire si ce n’est, pour certains, l’éjecter, mais il vous revient tel un boomerang. « L’autre m’en veut. »

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Un chemin possible peut-être, pour vous Marianne, serait de rejoindre la détresse de la petite fille en vous, sa colère aussi et de l’intégrer, soit de l’assumer, de la laisser vous habiter pour en faire quelque chose dans un second temps. Pouvoir haïr, pour ceci, et aimer, pour cela, à la fois, quel travail ! Tenter, à l’intérieur de soi, de tresser le fil noir de l’horreur avec le fil d’or de l’amour qui fut, le plus souvent aussi donné et reçu, pouvoir articuler ces deux opposés, voilà un travail considérable qui suppose d’accueillir en soi la colère et le lien, l’ombre et la lumière.

“Papa en solo d’une petite fille, je suis présent, je fais tout pour ma fille de 6 ans, elle est au centre de ma vie et je remue ciel et terre pour lui offrir une vie équilibrée. Pourtant, à l’école, elle manque cruellement de confiance, a besoin de validation en permanence, ne voit pas ses compétences et se trouve en grande difficulté pour être en lien avec les autres enfants. Je ne comprends pas ce qui lui manque. Merci pour vos idées.” Maurice, 49 ans.

Cher Maurice, merci pour votre question intéressante qui souligne combien tout être, tout faire, tout donner pour son enfant ne suffit pas et peut même, en fait, aussi paradoxal que cela puisse apparaître, être stérile, voire contre-productif.

Ce rêve de tout donner et tout offrir, cet espoir que l’amour réponde à tout… Voilà qui est tellement humain, universel, et pourtant… difficile. Difficile parce qu’il semble que cela ne rende pas les enfants – ni les adultes – plus heureux.

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Et là, se niche le paradoxe. L’amour, le lien, l’échange, la relation paisible est vitale bien sûr, pour un être vivant, mais le détachement, la différence, le désaccord, l’est tout autant. C’est parce qu’un enfant est excédé par ses parents qu’il partira un jour, c’est parce qu’il est fâché qu’il se rend ailleurs, dans sa chambre ou plus loin pour râler, bouder, penser… et ce temps de conflit pénible est tout autant vital à la construction du petit d’homme ou de la petite dame, que l’amour paisible de l’enfant avec ses proches.

Lorsque votre fille reste collée à vous, si bien avec son papa chéri qu’elle aime de tout son coeur, c’est joli, émouvant, ça laisse rêveur, mais… il y a un « mais ».

Comment se sentir entière et unie lorsqu’à l’école elle se retrouve « hors papa » ? Comment garder – voire construire ! – son enveloppe, sa bulle, sa peau à elle, lorsque, en fait, elle la partage avec vous du matin au soir ? La voilà toute démunie, écorchée et qui, peut-être, tente alors de « faire un » avec un ou une autre que vous, de partager une enveloppe commune pour trouver de quoi fonctionner, exister. L’autre devient son tout comme vous semblez l’être à la maison, ce qui la fragilise grandement.

Exister, éduquer – de ex-ducere, conduire dehors -, comment serait-ce possible si le cocon chaud lumineux et parfait ne permet que l’amour ? Quel paradoxe de la vie, qui nécessite un peu de désaccord et de capacité de le supporter pour pouvoir se détacher sainement et se diriger vers l’extérieur.

“Tout va bien pour notre fils de 5 ans sauf qu’il peut partir dans les tours pour des détails qu’on ne comprend pas, il mord et frappe dès qu’il est contrarié, casse tout si on l’isole, on a tout essayé. Il est HP, hyperdoué, mais ça n’a pas l’air de l’aider face à la frustration, comment agir sans le casser ?” Olivia et Marc, 47 ans.

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Merci, chers parents, pour ce témoignage frappant et pour ce contraste que vous mettez en lumière ! Doué pour tout, si ce n’est pour faire face aux contrariétés, et aux contraintes, ce qui n’est pas rien. Votre fiston est aussi, comme beaucoup d’enfants, doué pour le pouvoir et le plaisir ! Son feu, son dragon intérieur, c’est le pire comme le meilleur, il a à être civilisé, et ce n’est pas une mince affaire…

À lire votre long mail dont ne sont repris ici que quelques extraits, votre fils s’accroche à ce qu’il a ou ce qu’il croit avoir, pour ne rien lâcher, focalisé sur son bon vouloir, bon plaisir, bon pouvoir. Le renoncement qu’il a à opérer sera un fameux programme, celui de civiliser la pulsion, de l’amener à se raboter un peu, se nommer, se penser et se limiter. Cette intelligence de « limiter son propre pouvoir », voilà qu’il aura à la construire avec vous, qui, le cadrant avec cohérence, lui permettrez petit à petit de se cadrer lui-même.

Gaston a besoin de sentir un mur qui l’empêche (de faire n’importe quoi) et le protège à la fois. Comme au sein d’une maison, il y est à l’abri des importuns et du grand méchant loup, mais il y règne certaines règles qui permettent le vivre ensemble.

À l’image du lit d’une tumultueuse rivière, vos règles claires et fermes permettront aux pulsions de votre Gaston de s’orienter, de ne pas déborder, de prendre direction, et de déferler, tumultueuses certes, tueuses, non.

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