L’entreprise est un système vivant

Laissons-nous inspirer un moment par les sages conseils de la médecine traditionnelle chinoise qui a su, à travers les millénaires, observer les lois de la nature et les reproduire pour prendre soin du corps humain, dont la santé passe peut-être aussi par l’ « ambiance » des organisations où ils travaillent.

Par Pierre Lucas, senior coach au BAO Group- Photos Mathilde Troussard – modèle : Ana Cembrero Coca

e plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer la mauvaise santé des entreprises. Les statistiques le confirment. En Belgique, plus de 370.000 personnes sont en incapacité de longue durée. Ce chiffre a augmenté de 64 % en 10 ans. Et les prévisions pour les prochains mois et années sont plutôt pessimistes. Le gouvernement tente de prendre des mesures pour ramener les gens au travail le plus vite possible. Car cet absentéisme de longue durée devient impayable. Mais vous, que feriez- vous si, venant d’échapper à un incendie, on vous demandait de retourner dans la fournaise ?

L’entreprise biologique
Faisons un bref parallèle entre une entreprise et un corps humain. Et partant de là, voyons comment les fondamentaux de la médecine traditionnelle chinoise peuvent faire émerger de nouvelles pistes de travail.
Chacun le sait, le corps humain vit plus en moins en harmonie avec le monde extérieur. Son état de santé est influencé par des facteurs divers tels que l’alimentation, le climat, les relations sociales et familiales, l’hérédité, les événements soudains extérieurs à l’individu tels que les accidents, épidémies, etc. À l’intérieur du corps de l’individu, on trouve un certain nombre d’organes et de multiples réseaux de communication. La médecine chinoise recense 5 grands organes (qui ne sont pas à proprement parler les mêmes que ceux décrits par la médecine occidentale) : le foie, le cœur, la rate, le poumon et le rein. Les Chinois ont aussi cartographié pendant plusieurs millénaires un réseau complexe permettant la diffusion de l’énergie (Qi) : les méridiens sur lesquels sont situés de façon assez précise les fameux points d’acupuncture.
Le corps humain sera en bonne santé si tous ces éléments sont en harmonie et interagissent de façon équilibrée. S’ils communiquent harmonieusement.
Une entreprise, c’est un peu la même chose : il y a des organes (conseil
d’administration, comité de direction, encadrement, employés, ouvriers, etc.) et des voies de communication qui les relient.
On ne sera pas étonné de lire que si chacun de ces « organes » fonctionne en harmonie avec l’intérieur de l’organisation et son environnement extérieur, l’entreprise sera en bonne santé. Et ses membres également. Ou est-ce l’inverse ?
Sans entrer dans détail, je vous propose de passer en revue quelques  concepts fondamentaux de la  médecine traditionnelle chinoise et de les mettre en corrélation avec la santé de l’entreprise.

Les symptômes ou la racine ?
Le médecin chinois va toujours rechercher la racine d’un problème. Il ne se contentera pas de travailler sur le symptôme qui peut être trompeur. Car travailler sur le symptôme ne règlera rien en profondeur. Et la guérison – si elle survient – ne sera que temporaire ou superficielle.
Pour les Chinois, les organes du corps humain sont interdépendants. Par exemple, le cœur est directement influencé par le rein qui le contrôle et le foie qui le nourrit. Travailler sur un seul de ces organes sans chercher à équilibrer les autres ne permet pas l’atteinte de l’équilibre global.
Par analogie, dans les entreprises, le burn-out , par exemple, est un symptôme qui se conjugue avec d’autres problématiques liées au stress, à la dépression et à certaines affections psychosomatiques (maux de dos…). La conséquence mesurable de ce symptôme est l’absentéisme. On s’aperçoit de plus en plus que renforcer purement et simplement les procédures de contrôle de la présence des travailleurs n’arrangera rien fondamentalement. Pire : ce traitement risque même d’aggraver la situation.
Autre exemple : le manager trop directif, ne sachant pas (ou n’osant pas) écouter ses équipes va directement ou indirectement peser sur les personnes qui travaillent autour de lui. On aura beau coacher ses « n-1 » (les symptômes), le travail ne sera réellement complet que si le « n+1 » fait également sa partie de chemin. Un peu comme en thérapie familiale où soigner l’enfant sans chercher à comprendre l’interaction avec les parents est superficiel et parfois contre-productif.

Le lien entre le corps et les émotions
Les Chinois établissent un lien direct entre la maladie et la gestion des émotions. Dans certaines écoles, on enseigne que 80 % des problèmes de santé (des plus légers aux plus graves) sont déclenchés par un choc émotionnel mal « digéré ». Ce qui expliquerait pourquoi certaines personnes ayant une hygiène de vie parfaite (alimentation, sport, sommeil,…) se voient « injustement » atteintes par la maladie alors que d’autres sédentaires ventripotents restent à l’abri des problèmes les plus graves. Ainsi, par exemple, les médecins chinois font un lien direct entre le foie et la colère, le cœur et la joie, le poumon et la tristesse, le rein et la peur, la rate et les pensées obsessionnelles…
Pour le dire positivement : si l’être humain gère ses émotions avec intelligence (en les exprimant, sans les cacher, de la bonne façon…), il multiplie
considérablement ses chances de rester en bonne santé.
Et dans votre entreprise : qu’est-ce qui est mis en place (réellement et de façon préventive) pour gérer au mieux les émotions ? Et ce à tous les niveaux ? Est-ce organisé ? Ou improvisé dès lors que le problème s’est manifesté ?

Les grands organes et la circulation de l’énergie à travers le corps
Pour les médecins chinois, la circulation d’énergie est  incontournable pour assurer l’harmonie du corps et la bonne santé. L’énergie doit circuler à tout moment et dans la bonne direction. À défaut, un déséquilibre s’installe qui se manifestera tôt ou tard par un problème de santé qui touchera tel ou tel organe. Avec une intensité ou une gravité liée au choc émotionnel. Il est d’ailleurs intéressant de noter que pour la médecine chinoise, le « cœur » est toujours touché, même indirectement, en cas de choc émotionnel.
Dans l’entreprise, l’énergie passe évidemment par les moyens classiques de communication verbale et non verbale. Mais ces aspects ne sont que la partie visible de l’iceberg. La « vraie » communication en entreprise passe de façon beaucoup plus subtile à travers le degré d’authenticité des échanges. Les « non-dits » sont toxiques et finissent inévitablement par empoisonner les relations. Ils sont une substance mortelle pour l’entreprise, et pour ses membres, à moyen et long terme.

La recherche permanente de l’équilibre (Yin-Yang)
Toute la médecine traditionnelle chinoise repose sur l’équilibre entre le YIN (principe Féminin) et le YANG (principe Masculin). Leur complémentarité et l’évidence d’un mouvement perpétuel cher aux taoïstes est le fondement de leur approche. Les Chinois anciens définissaient la bonne santé de la façon suivante : Yin paisible et Yang caché.
Traduction : si tu es vraiment fort, pas besoin de le montrer. Contente-toi d’être bien dans tes pompes, à l’écoute de ton corps, de tes émotions profondes et en bonne connexion avec les autres et ton environnement.
Qu’on parle d’hommes ou de femmes, car la question n’est pas liée au sexe, on peut dire que beaucoup d’entre nous pourraient d’avantage s’inspirer de cet adage. La violence va croissant dans la plupart de nos organisations et institutions, ce qui provoque ou accentue un cercle vicieux. Pour l’anecdote, en médecine chinoise, la mort de l’individu survient lorsque le Yin et le Yang se séparent totalement.

Médecine occidentale versus médecine  traditionnelle chinoise
La médecine traditionnelle chinoise se fonde sur une sagesse ancestrale qui prône la douceur profonde et l’humilité. Jetez un coup d’œil sur un précis de médecine chinoise et vous trouverez dans les principes thérapeutiques des termes tels que nourrir, harmoniser, réchauffer, soutenir, tonifier,  faire circuler…
La médecine occidentale, dont l’efficacité n’est plus à prouver, utilise quant à elle plus volontiers une terminologie guerrière : antibiotique, anti-sceptique… Car, n’oublions pas que les conflits récents en Europe ont permis de grandes avancées médicales. La radiothérapie doit beaucoup à Hiroshima. La chimiothérapie aux armes chimiques, etc.
Les deux approches sont complémentaires. La médecine occidentale se révèle bien plus efficace et rapide dans toute une série de domaines. Et réciproquement. Il n’est donc nullement question d’opposer les deux principes. Mais simplement de suggérer de les combiner car ils sont aussi complémentaires que le sont l’eau et le feu.

Gouverner et soigner : un même principe
En chinois, c’est le même idéogramme (Zhi) qui est utilisé pour désigner les concepts de « gouverner » et de « soigner ». La terminologie utilisée par les médecins chinois est très évocatrice. Le cœur, par exemple, est appelé l’empereur. Le poumon est le premier ministre. Le foie est le général des armées. La « gouvernance » du corps humain et la façon dont les organes s’écoutent et se comprennent est à la base du principe de bonne santé.
Pour les entreprises, il en va de même. Le leadership (à tous les niveaux de l’organisation) est la clé de voûte de l’harmonie du système. Investir massivement et radicalement dans les relations humaines n’est pas une option : c’est un passage obligé. L’encadrement des organisations doit impérativement accroître ses performances managériales. Dans la plupart des entreprises, le chantier est colossal car les dirigeants ont rarement été formés en profondeur pour mieux vivre leurs relations (à 360°). Et comme le disait si justement Gandhi : la transmission par l’exemple n’est pas la meilleure option. C’est la seule. À chaque comité de direction de mettre en place ce qu’il faut pour y arriver. Car s’il est évident que toute la responsabilité ne vient pas d’en haut, il n’en reste pas moins que c’est le top de la pyramide qui a le pouvoir d’investir sérieusement dans le capital humain.

Les abus de pouvoir et les révoltes
En médecine chinoise, on trouvera fréquemment des sentences de ce type : le foie agresse la rate, le poumon se révolte contre le cœur, le cœur épuise le foie… La relation entre chacun des organes se doit d’être équilibrée. Les « abus de pouvoir » ou prises de contrôle excessives sont une garantie de déséquilibre du corps, qui conduit à la maladie.
Idem en entreprise. Un manager qui presse trop ses troupes ou abuse de son pouvoir de contrôle s’expose à des réactions en chaîne qui seront dommageables à court ou moyen terme pour le système. Tout est une question d’équilibre – comme le dit le TAO, en chinois, la voie du milieu.
Et cela est vrai également dans l’autre sens : il peut arriver que les actions de la base de l’entreprise, par exemple des revendications syndicales disproportionnées, paralysent l’organisation d’une entreprise.

La médecine du travail du futur : thérapie de l’entreprise
On raconte que les médecins chinois se faisaient payer par leurs patients aussi longtemps qu’ils étaient en bonne santé. Et que si la maladie survenait, il incombait au médecin de soigner le malade gratuitement pour lui permettre de retrouver l’équilibre. Il s’agit donc d’une médecine préventive. Comme la médecine du travail, obligatoire, qui a connu ces dernières décennies des résultats remarquables en termes de prévention par rapport aux maux physiques.
Cependant, les défis qui attendent les médecins du travail pour les prochaines années sont énormes. Défis à relever ensemble avec les travailleurs bien entendu : à chacun d’apporter sa pierre à l’édifice d’un milieu professionnel sain. Il s’agira – à l’instar de ce que préconise la médecine traditionnelle chinoise – de reconnecter le corps et l’esprit. Le physique et la gestion des émotions. Car les problèmes de santé dans nos entreprises sont aujourd’hui en majorité des problèmes d’ordre psycho-social.

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